chapitre 8

Publié le par delville

La petite main a mal. L'étau formé par les callosités de la grande qu'elle guide à travers le sentier montagneux la sert trop fort. Le coeur, plus usé par la vie quotidienne que par les ans, a de la difficulté à tenir le rythme. Il souffre d'avoir pour conducteur une jeune vie plein d'insouciance. Une pierre plate, à l'abri d'un laurier rose, offre une halte salutaire à Abderrahim et Moussa. les arbustes étirent leurs branches protégeant la rare humidité du sol. Quelques flaques d'eau boueuse stagnent dans les coins d'ombre. L'eau est soumise à une intense évaporation. Le ciel prend de la terre en lui rendant peu dans ces régions. Abderrahim regarde sans le voir le sol craquelé, rouge dont tout sentimalisme est exclu. Pourquoi la surabondance d'un lieu ne sert-elle pas à chasser la pénurie et la détresse d'un autre?

Les yeux morts d'Abderrahim trahissent l'impuissance et l'injustice. Il ne s'est jamais remis de sa céclté. Il est trés difficile d'être dépendant de quelqu'un. Abderrahim est devenu aveugle en regardant de face une éclipse totale de soleil. Ce n'est pas pourtant faute d'avoir été prévenu. Même avec un caractère entier, il faut savoir plier devant certaines exigences pour ne pas se trouver en danger. Les voies du Seigneur sont inpénétrables. On les loue en cas de bienfait. On les maudit dans le cas contraire. Homme mortel ta vie est courte; cesses de te prendre pour le nombril de celle qui t'a fait naître.

Un couple d'éperviers tourne dans le ciel limpide. Il attend patiemment la non vigililance d'un mulot sortant de son trou. N'ouvre pas ton coeur sans nécessité répétait 'Ali. Entre mille êtres il y en aura peut-être un seul capable d'être en osmose avec ton âme sans la violer. Ne te laisse pas malmener ou déchirer par l'incompréhension. Fuis l'ignorance. Ne te laisse pas endoctriner par ceux qui parlent de "lois divines" alors qu'elles ont été établies pour mieux régenter en pratiquant l'intolérance et la tyrannie.

Abderrahim prit la tète de Moussa, la posa sur ses genoux et, comme souvent, revint vingt ans en arrière.

Un parfum discret d'orangers se mèle au bruit monodique du marteau du dinandier sur le cuivre réglant la vie du patio. Deux dos voutés se relèvent de temps en temps pour se reposer. Moussa (Moïse en hébreu) a dix ans. Il est né de ce que l'ignorance appelle faute aux yeux de la Rigueur. 'Ali avait demandé d'élever cet enfant dont la seule tare était d'être de mère juive et de père musulman. La contradiction a de quoi surprendre. Moussa est juif par sa mère et musulman par le père. Moussa fût la conclusion d'un instant de bonheur entre deux êtres qui s'aimaient en dehors de toute barrière raciale. Abderrahim et Rachel étaient voisins d'enfance. Les deux familles étaient en bon terme. Elles se fréquentaient régulièrement. On buvait le thé à la menthe fort et sucré pendant que les enfants jouaient dans la cour. Les deux familles commençèrent à ne plus se voir quand la rumeur publique s'emparât d'un amour naissant entre une fille d'Israël et un fils d'Ismaël. La naissance intervint. C'était un garçon. Cet événement déstabilisa la communauté. Si 'Ali n'était pas intervenu que serait devenu Moussa? En étant rejeté par les deux milieux comme enfant du péché, l'infortune de sa naissance ferait de lui un paria.

Moussa ne connaitra pas sa mère morte de chagrin, dit-on, peu aprés la naissance. Moussa a le rare privilège d'être lié à deux traditions.

Le soleil culmine. Il domine, en l'étouffant, la colline que les chèvres terminent de peler. Dés l'aube des premiers jours les hommes ont rendu au disque d'or crainte et vénération. Dans sa puissance et son don de vie il sait que le déferlement du monothéisme n'a pas effacé son culte à la surface de la Terre.

Dans l'immuabilité de son mouvemen,t apparent seuls les nuages et les nuits le rendent invisible.

Prends garde homme pressé. trop sûr de toi, cherches avant d'entrevoir l'intarissable source sinon, tu perdras ton eau et ton coeur, devenu sec, ne battra plus au rythme de ton rythme.

Abderrahim s'arrète, lève la tête, pointe l'index et dit à Moussa:

"Nous voila bientôt arrivés, les tuiles vertes de la zaouïa me l'ont chuchoté".

Moussa demande à son père comment il peut voir les tuiles puisqu'il est aveugle. Celui-ci lui répond:

"Tu es le guide extérieur qui me mène dans la ténèbre. J'ai confiance en elle malgré ta jeunesse. Nous sommes aveugles.Trés peu d'entre nous ont la conscience d'être guidé. C'est une erreur profonde, Moussa. Aujourd'hui tu m'accompagnes en me devançant. Demain, auras tu le choix de te faire guider par une main inconnue?

Moussa, le véritable maître est en toi. Cherche et tu seras trouvé. "

Le sentier accepte les pas d'Abderrahim sans lui faire de cadeaux. Des milliers de pas l'ont façonné, des milliers de pas y ont peiné, des milliers de pas s'y sont croisés en silence.

Le vent du Sud se lève. Transportant le sable du désert il assombrit l'atmosphère qui commence à se teinter de pourpre et de blanc laiteux veiné de gris. Mousa craint ce vent qui traverse le paysage. Comme c'est lui qui protège son père sa petite taille le condamne à l'affrontement . Les myriades de grains soulevés en tourbillons polissent les roches comme un miroir. Le vent qui frappe le pélerin rappelle la dureté de la Voie. Seul le plus fort résiste. Les lauriers roses sont de cette nature. Indifférents à l'agressivité ils se transmettent de feuille en feuille, de fleur en fleur, de branche en branche, l'histoire de Sidi Yahya et, qui dit qu'ils ne ranimeront pas la mémoire d'Abderrahim en cas de défaillance. Une légende est un récit fictif, destiné à, par exemple, relater la vie d'un saint. La précision historique passe aprés la préoccupation morale ou spirituelle. La légende fait appel au merveilleux à l'origine de nombreux mythes. Un exemple est représenté par "la légende dorée" rédigée par Jacques de Voragine entre 1261 et 1266 qui raconte la vie de 180 saints. Cette compilation a servi d'enseignement aux chrétiens d'alors. Rappelons nous aussi "Les mille et une nuits" livre persan traduit en arabe. Contrairement aux différentes légendes ce n'était pas un ouvrage populaire. Au départ ce récit était destiné aux gouvernants.

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